Selon l’étude “State of Global Workplace” menée par Gallup en 2025, le taux d’engagement des salariés français est seulement de 8 %. La France se place aux derniers rangs en Europe, à la 36e place, juste devant la Suisse et la Croatie.
Une des causes de ce chiffre alarmant ? Les salariés les plus performants sont souvent discrédités et non récompensés dans les entreprises dysfonctionnelles.
Avant d’aller plus loin, lorsque j’évoque les salariés les plus performants, je ne fais pas référence à la star de l’équipe : celle qui fait du bruit et qui veut se montrer auprès de la direction. Je parle du top performer, ce salarié fiable, autonome sur qui on peut compter. Voici quelques traits caractéristiques :
Le top performer est responsable et humble, son job est toujours fait de la meilleure manière possible, avec efficacité et régularité. Il ne lui faut pas 3 h de boulot pour réaliser une tâche qui aurait pu être finalisée avec un coup de fil ou un e-mail bien rédigé. Il prend des initiatives, fait preuve d’adaptabilité et de curiosité, il concentre son énergie et son attention au développement de l’organisation. Sa motivation intrinsèque le pousse à être force de proposition, il n’attend pas la permission ou la validation d’une autre personne. Il cherche toujours à développer ses compétences et lorsqu’il échoue, il rebondit, car il admet ses erreurs et il est résilient. Il encourage et aide les membres de son équipe, refusant la concurrence malsaine.
Malheureusement, certaines organisations, particulièrement celles avec des structures hiérarchiques rigides, préfèrent tirer profit de ces profils performants et engagés. On leur en demande toujours plus, on s’appuie sur eux pour compenser les failles du système, et on les considère comme des ressources inépuisables. Jusqu’à ce qu’ils craquent, épuisés. Ou qu’ils partent. Et là, tout le monde s’étonne.
Cet article tentera de répondre aux questions suivantes :
Pourquoi les entreprises dysfonctionnelles ne récompensent pas ceux qui tirent l’équipe vers le haut ?
Et surtout, que faire quand lorsque l’on est dans cette situation paradoxale ?

I) Le calvaire silencieux du top performer.
Les meilleurs reçoivent toutes les tâches urgentes, difficiles ou critiques. Dire « non » est difficile pour eux, car cela entre en conflit avec leur loyauté et leur exigence personnelle. Le top performer se différencie du « people-pleaser », c’est-à-dire l’individu qui se conforme au besoin des autres ou à ce qu’il pense que les autres attendent de lui.
1) La spirale infernale de la surcharge invisible.
Les meilleurs salariés absorbent le travail des autres, compensent les lacunes de leurs collègues. Ils sont encouragés à prendre plus d’initiatives, à participer à des projets qui ne sont pas en lien avec leur fiche de poste. Par exemple, dans un de mes précédents jobs, on m’avait demandé de rédiger des posts LinkedIn pour mettre en avant les actions positives de la boîte. Pendant ce temps, les dossiers administratifs s’accumulaient, je n’avais pas le temps de tout gérer. Ensuite, on me reprochait que certains dossiers prenaient du retard. L’exemple de Julien est aussi parlant. Commercial performant, il est le “pompier” de l’équipe : on l’appelle dès qu’un client difficile pose problème.
On leur donne des rôles informels : formateur des nouveaux, référent technique, etc… Sarah, développeuse senior, se retrouve à former tous les nouveaux arrivants tout en maintenant ses deadlines. Elle doit donc cravacher pour atteindre ses objectifs.
Ils enfilent le costume de Toxic Handlers (Peter Frost, 1999), c’est-à-dire qu’ils absorbent la souffrance émotionnelle des autres, souvent sans reconnaissance. Les meilleurs sont aussi ceux vers qui on se tourne lorsque ça ne va pas, ou lorsque qu’un collaborateur a besoin de soutien. Beaucoup de « meilleurs éléments » jouent ce rôle sans le savoir.
Finalement, plus tu es compétent, plus tu es surchargé. C’est ce pourcentage de tâches supplémentaires qui n’apparaissent nulle part sur la fiche de poste. Cependant, tu n’es pas valorisé. Tu es puni, d’une certaine manière, à cause de ta compétence. Ta fiabilité devient donc une condamnation silencieuse.
2) Un manque de soutien et de reconnaissance.
Le phénomène du « go-to person » : cette personne vers qui tout le monde se tourne. Boss et collègues s’appuient sur les meilleurs salariés pour masquer les dysfonctionnements de l’organisation, ou pour porter une équipe sous-performante : « Julie est solide, elle peut gérer.«
Traduction : « On peut lui en demander plus, sans la soutenir. ». Ils sont définis par leur niveau élevé d’implication et de performance, mais attention les attentes envers eux sont immenses, ils ne peuvent pas décevoir. Ils sont tenus pour acquis.
Les managers passent moins de temps à s’occuper d’eux, ils se désengagent vis-à-vis des meilleurs. Le top performer donne l’impression qu’il n’a pas besoin d’aide. Le manager en déduit inconsciemment que le bon salarié n’a pas besoin d’accompagnement non plus. Les meilleurs éléments n’émettent pas de signaux de détresse, donc ils disparaissent du radar.
Aussi, certains managers ne sont pas capables de détecter les meilleurs profils. Ce type de managers n’a pas la capacité de prendre des décisions concernant les salariés incompétents qui ne font pas leur boulot ou qui posent des problèmes. Par conséquent, ils ne valorisent pas le top performer.
Lorsque le salarié performant est dirigé par un manager toxique, il peut menacer l’égo ou la légitimité du manager. Plutôt que de valoriser ce collaborateur, le manager va l’ignorer, l’isoler ou le surcharger de tâches, inconsciemment ou volontairement.
Les meilleurs éléments d’une équipe sont rarement promus : trop indispensables là où ils sont. On ne promeut pas les gens efficaces, on s’appuie sur eux pour que le reste tienne debout.
Le salarié engagé ne compte ni ses heures ni son énergie, il est hyper exigent. Dans une entreprise toxique, cette stratégie n’est pas viable sur le long terme, car trop souvent, ce type de salarié est mis de côté lorsqu’il évoque son mal-être.
II) Quand dire « non » devient une trahison.
1) Du salarié engagé à la personne isolée.
Lorsqu’un salarié performant prend conscience qu’il n’est pas récompensé à sa juste valeur (attention, reconnaissance, compensation financière), il commence par être silencieux, et il trouve des moyens cachés pour se désengager progressivement. Il se désabonne par exemple de la page de l’entreprise sur les réseaux sociaux. Épuisé, il ne veut plus être au contact émotionnellement de cet environnement qui lui fait du mal.
Il se désengage et s’aperçoit qu’il ne peut pas donner autant, alors il dit « non » aux requêtes de sa direction ou de ses collègues, et c’est vécu comme une trahison par le système dysfonctionnel. C’est là que le plus dur à vivre commence : quand il s’épuise ou exprime une frustration, il est perçu comme instable ou ingrat, il devient un bouc-émissaire. L’organisation toxique réagit par des micro-représailles : mise à l’écart, dénigrement, pression passive-agressive. Ensuite, le salarié est décrié pour son manque de loyauté.
Tant que les meilleurs éléments encaissent, tout va bien. Ils sont perçus comme « matures », « autonomes », « pas un problème ». Mais dès qu’ils posent des limites ou qu’ils commencent à se désengager, car ils n’en peuvent plus, on les trouve « moins impliqués », « moins flexibles », voire « problématiques ». Ses résultats sont remis en question.
Pourquoi ce changement ? Parce que dans une entreprise toxique :
- La docilité l’emporte sur la compétence.
- Le silence l’emporte sur la vérité et l’honnêteté.
- La charge invisible n’est jamais reconnue (formation des nouveaux, tampon émotionnel, gestion des crises…).
- La compétence est vue comme une menace pour un manager ayant une faible estime de lui-même.
- Le silence profite à ceux qui entretiennent le système dysfonctionnel.
2) Des événements traumatisants mentalement.
Le top performer tombe donc dans une spirale infernale qui peut entraîner une perte de confiance en soi, mais aussi le sentiment d’être fou, de remettre en cause tous ses faits et gestes, ses paroles. Il a la sensation d’être dans un environnement hyper insécurisant psychologiquement. Le passage du salarié modèle à l’enfant terrible est douloureux.
Donner beaucoup, sans limites, ne dure qu’un temps. Trop souvent, ce « don de soi » conduit à l’augmentation du stress chronique, à l’épuisement, à la désillusion et à la rupture totale. Mais le plus souvent, et c’est ce qui est le plus alarmant, une personne fiable, non reconnue ni récompensée tombe en burnout. Selon les recherches en psychologie organisationnelle, les « bons soldats » ayant un haut niveau d’engagement, sont les plus vulnérables au burnout, notamment quand le soutien et la reconnaissance sont absents.
La rupture brutale avec l’organisation est aussi une réponse fréquente à ce genre de situation, le salarié fait un rejet total de l’environnement dans lequel il a tant donné. Il décide donc de partir en claquant la porte. C’est un événement hyper stressant et traumatisant dans une carrière. Ce genre de situation nécessite souvent un accompagnement (coach, thérapeute, psychologue, médecin). Par la suite, l’entreprise toxique cherche à dénigrer le salarié ou à égratigner sa réputation pour justifier son départ. Dans le management toxique, la remise en question n’existe pas.
Les entreprises dysfonctionnelles ne protègent pas leurs meilleurs éléments, elles en tirent profit et elles s’étonnent lorsqu’ils claquent la porte.
Mais alors toi qui es un salarié fiable et compétent, comment peux-tu te protéger dans ces cas-là ?
III) 6 clés pour se protéger sans culpabilité.
Voici quelques leviers pour te préserver avant que ton corps ou ton mental ne dise stop.
1) Nommer le système, sans crainte.
Si tu sens que tu es débordé et que tu perçois que quelque chose n’est pas « normale » dans ta charge de travail, ce n’est pas une faiblesse personnelle. Nommer, c’est commencer à se libérer.
2) Faire l’inventaire et refuser la charge invisible.
Mets en lumière ta charge réelle : demandes urgentes, tensions, mentorat, gestion de crise, écoute émotionnelle…
Des exemples concrets :
- « Je peux prendre cette mission urgente. Cela représente 2 jours de travail. Quelles sont mes autres priorités que je dois décaler ?
- « J’ai remarqué que je forme 1 nouveau par trimestre. Pouvons-nous comptabiliser cela dans mes objectifs annuels ? »
- « Cette responsabilité supplémentaire s’ajoute à ma charge. Comment l’évaluer lors de mon entretien annuel ? »
Si tu vois que les réponses sont floues : refuse. Tes besoins et les limites doivent être la priorité.
3) Documenter ta vraie valeur et contribution réelle.
Gère ta carrière comme un projet : résultats, feedbacks clients, chiffres d’impact.
Note chaque amélioration, chaque impact, chaque victoire.
Voici un exemple de « journal de valeur ajoutée » qui peut changer un entretien ou ouvrir une porte de sortie.
Semaine du [date] :
- Résultat obtenu : [chiffre/impact]
- Feedback reçu : [qui, quoi]
- Problème résolu : [urgence gérée]
Exemple : gestion de la crise avec client X.
- Valeur ajoutée : [ce qui n’aurait pas été fait sans vous]
Exemple : client conservé, (CA 80K€/an).
Documente tes réussites. La hiérarchie ne reconnaît pas spontanément ces résultats parfois « invisibles ».
4) Créer des alliés ou mentors.
Tu n’as pas besoin de tout affronter seul.
- Identifie 3 personnes influentes qui reconnaissent ton travail (collègue, client, partenaires).
- Sollicite des témoignages écrits après chaque projet réussi.
- Participe à des projets transversaux pour élargir ta visibilité et rencontrer du monde = à valoriser dans ton CV pour plus tard.
- Maintien contact avec d’anciens collègues/managers qui t’appréciaient.
5) Tester le feedback avec stratégie.
Évite le terrain émotionnel. Parle impact, pas injustice.
Exemple :
⛔️ « Je suis surchargé.e de travail, j’en ai trop à faire ! »
✅ « J’aimerais clarifier mes tâches. Actuellement, je gère X, Y, Z. Sur quoi dois-je me concentrer en priorité ? »
✅ « Pour mieux comprendre l’impact que j’ai, j’aimerais comprendre comment mes tâches supplémentaires (formation, support, urgences) sont prises en compte. »
✅ « Je souhaite m’assurer que mon investissement est aligné avec les attentes. Pouvez-vous me confirmer si mes résultats sur [projet X] correspondent aux standards attendus ? »
Si votre manager est de bonne foi, cela ouvrira une discussion. Sinon, vous aurez une confirmation qu’il n’est pas à la hauteur de votre compétence.
6) Préparer la sortie sans état d’âme ni honte.
Si tu es souvent puni pour ton exigence. Prépare un plan B : interne, externe ou entrepreneurial.
Et rappelle-toi : partir, ce n’est pas fuir. C’est choisir de te respecter.
La reconnaissance ne viendra pas de ceux qui t’utilisent, mais de ceux qui savent ce que tu vaux et de ceux qui ont confiance en toi. Elle viendra aussi de toi et de la fierté que tu as de réussir et de mener de nouveaux projets, pour toi. Finalement, tu n’as pas besoin d’une validation ou d’une autorisation externe.

Conclusion.
Le concept de Justice organisationnelle, développé par Greenberg en 1987 montre que le sentiment d’être traité équitablement influence la motivation, l’engagement et la fidélité. Un déficit perçu peut mener au désengagement, au cynisme ou au départ.
Si tu es un des meilleurs éléments de ton équipe et que tu te reconnais dans ce portrait, tu n’es ni trop sensible, ni trop exigeant ou trop instable. Tu as le droit de poser des limites, de dire « non » ou « stop ». Tu n’as pas besoin d’être validé par un système qui n’est pas fait pour toi.
👇 ACTION IMMÉDIATE :
- Identifie ton profil : es-tu dans cette spirale ?
- Évoque une stratégie : quelle technique as-tu utilisé pour poser tes limites ?
- Partage à une connaissance qui vit cette situation (il/elle te remerciera)
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