Les entreprises toxiques punissent ceux dont elles ont le plus besoin.

Dans de nombreuses organisations où le leadership est dysfonctionnel et la culture d’entreprise faible, un paradoxe déroutant se répète : ce sont souvent les collaborateurs les plus compétents, les plus créatifs et les plus investis qui finissent par être marginalisés, découragés, voire sanctionnés.

Comment expliquer que les personnes dont l’entreprise aurait le plus besoin pour innover, motiver et assurer son avenir soient précisément celles qui subissent le plus les mécanismes du management toxique ?

Pour comprendre ce phénomène, analysons les dynamiques psychologiques et organisationnelles qui font que la compétence d’un salarié devient un danger pour les personnes qui entretiennent le système dysfonctionnel.

Photo de Mulyadi sur Unsplash. Pourquoi les meilleurs sont-ils punis ?

I. Le paradoxe : quand la compétence devient une menace.

A. Les managers à l’égo fragilisé.

Dans une culture saine, un collaborateur compétent est une chance. Mais dans une culture toxique, il peut être perçu comme une menace.

  • Le manager craint que ses propres limites soient révélées par la performance d’autrui.
  • La réussite de l’autre met en lumière ses faiblesses.
  • L’ego et le besoin de contrôle prennent le dessus sur la mission collective.

Un collaborateur compétent n’a pas peur de remettre en cause les décisions stratégiques. Dans ce cas, un manager à l’égo fragile ou narcissique se sent immédiatement attaqué. Ça vient directement remuer ses propres insécurités et il n’arrive pas à faire la part des choses : feedback constructif vs attaque personnelle. Par conséquent, les mauvais managers ont des difficultés à gérer les collaborateurs compétents, car ils ne sont pas dans le contrôle absolu et ils n’assument pas leurs responsabilités.

B. La rétention et l’anéantissement du talent.

Des recherches récentes montrent que certains managers pratiquent ce qu’on appelle le « talent hoarding » (Haegele, 2022) : ils retiennent volontairement les bons éléments, évitent leur promotion ou leur exposition, de peur de fragiliser leur propre position. Ce type de manager est persuadé que le salarié compétent « tiendra » et qu’il est « fort ». Le manager toxique croit également que le salarié compétent lui doit tout et qu’il a de la chance de travailler sous sa direction. La relation ne va que dans un sens.

Résultat : au lieu de valoriser le potentiel, le manager l’enterre.

Par ailleurs, dans une culture d’entreprise toxique, le développement des talents n’est pas la priorité. Ce qui compte, c’est d’user l’énergie présente pour arriver à des résultats à court-terme.

C. Le conformisme comme règle du jeu.

Dans les environnements toxiques, l’organisation privilégie la conformité plutôt que la compétence et l’esprit critique. Dire « oui » à tout est mieux vu que quelqu’un qui ose dire les choses avec franchise et même si ces opinions sont bénéfiques à la stratégie d’entreprise.

  • Ceux qui osent poser des questions, contester ou innover deviennent “gênants”. Souvent labellisés comme “plus difficiles à contrôler”.
  • L’autonomie est vue comme une déviance, non comme une ressource.

Dans ce cadre, plus on est brillant, plus on attire la défiance. Et ça se perçoit également à l’échelle des collègues. Certains se sentent menacés par vos qualités, votre discipline et votre conscience professionnelle.

II. Comment la toxicité se manifeste concrètement.

A. Stratégies de dévalorisation.

Les entreprises toxiques disposent d’un arsenal de comportements destinés à neutraliser les collaborateurs compétents :

  • Critiques constantes, directes ou indirectes, peu importe la qualité du travail.
  • Invisibilisation : idées reprises par d’autres, contributions minimisées.
  • Mise à l’écart : exclusion des réunions stratégiques ou des événements d’équipe, rétention de l’information.
  • Feedback vague ou volontairement négatif : accentuer sur les défauts, passer sous silence les réussites, attaques sur la personnalité ou l’intelligence.

Pour finir, les études scientifiques montrent comment ce type de management réduit la motivation et la satisfaction des employés.

B. L’incohérence comme méthode.

Un autre mécanisme courant est la règle changeante : ce qui était valorisé hier devient critiqué aujourd’hui. C’est un des grands piliers du management toxique.

  • Cela crée de l’insécurité psychologique. Le salarié compétent a l’impression de devenir fou.
  • Le collaborateur compétent ne sait plus sur quel critère il sera jugé.
  • Chaque initiative peut se retourner contre lui.

En conclusion, cette instabilité est une arme de contrôle redoutable.

C. Les « rockstars toxiques » protégées.

Un paradoxe encore plus dur à vivre : les individus réellement toxiques, mais performants à court terme (« les rockstars toxiques ») sont souvent protégés, voire récompensés.

  • Les employés compétents, mais respectueux, sont marginalisés.
  • Les “stars” arrogantes, mais génératrices de résultats immédiats, sont promues alors qu’elles détruisent de l’intérieur la culture d’entreprise, ce qui représente un risque majeur pour le futur.

De plus, ces profils entretiennent une culture destructrice, mais restent tolérés (par les dirigeants) par peur de perdre leurs résultats à court-terme. Encore faut-il que les leaders ou directeurs aient la compétence de reconnaître ces rocks stars toxiques, car bien fréquemment, elles gèrent à merveille les jeux de pouvoir. Un des enjeux stratégiques pour le leadership contemporain, est de ne plus tolérer ce type de collaborateurs. En effet, celui-ci constitue un danger imminent pour la survie d’une entreprise, notamment avec les coûts parfois colossaux qu’il génère et la dégradation de la marque employeur qu’il crée avec les nombreux départs d’autres salariés qu’il provoque. Je vous conseille les travaux de Deepa Purushothaman (HBR, 2022) sur le sujet.

D. L’effet boomerang : burnout et désengagement.

Les salariés compétents, exposés à ce type de management, finissent par :

  • se taire, rester silencieux et renoncer à proposer des idées,
  • s’épuiser sous les charges, les contradictions et l’environnement de travail insécurisant psychologiquement,
  • se désengager, ou quitter l’entreprise.

Plusieurs études montrent que le leadership toxique accroît directement le burnout et le stress, avec des effets mesurables sur le bien-être subjectif et la performance financière d’une entreprise.

Résultat final : l’entreprise perd précisément les talents dont elle avait besoin pour durer.

Conclusion : que faire face à ce paradoxe ?

Finalement, les entreprises toxiques finissent par s’autosaboter : elles punissent les talents compétents, favorisent les comportements nocifs et s’exposent à des coûts humains et organisationnels considérables.

Comment réagir ?

  • Pour les collaborateurs compétents : documenter les faits, chercher des alliés, poser des limites claires, envisager la mobilité si la situation devient intenable.
  • Pour les CEO et RH :
    • mettre en place des mécanismes de reconnaissance transparente,
    • évaluer les managers non seulement sur les résultats, mais aussi sur les comportements,
    • créer une culture d’entreprise claire où les comportements sont le reflet des valeurs de l’entreprise,
    • promouvoir un climat de sécurité psychologique, où la compétence est vue comme un atout et non une menace.

Enfin, dans cet exposé, un autre aspect est à prendre en compte : celui de l’identification des talents, des compétences et des comportements. Dans un monde économique contemporain ultra-concurrentiel, beaucoup d’entreprises ont des difficultés à recruter et à trouver les bons talents. Au fond, les vraies questions à se poser sont les suivantes : sommes-nous en mesure de bien identifier les compétences et les bonnes personnes ? Et finalement : une entreprise peut-elle se permettre de punir ceux dont elle dépend pour survivre ?

💡Avez-vous déjà vécu cette situation en tant que salarié compétent ? Quelles ont été les méthodes utilisées par le leadership pour vous dévaloriser ?

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