L’art de la conversation difficile : comment s’y prendre ? Et ce que font les managers toxiques.

Durant ma carrière de joueur et en entreprise, j’ai rarement eu des entraîneurs ou des managers qui savaient s’y prendre en termes de feedback. Prêt à m’améliorer, j’ai souvent eu le sentiment d’être rabaissé et manipulé : je sentais que les personnes en face de moi avaient besoin d’affirmer leur autorité en me dévalorisant. Les meilleurs managers ont été ceux qui m’ont dit les choses avec honnêteté et respect, tout en me proposant des solutions pour que je puisse progresser. Je me souviens d’eux, et je les remercie, car ils ont eu beaucoup d’impact sur moi. La toxicité de certain.e.s managers m’ont permis d’observer ce qui ne fonctionnait pas et donc ne pas reproduire ces mêmes erreurs.

Les recherches de Taya R. Cohen et Emma E. Levine montrent que les conversations difficiles sont nécessaires dans la vie quotidienne pour aider chacun à apprendre et à s’améliorer, mais nous avons des biais systématiques sur leurs conséquences. En effet, les communicants ont tendance à sous-estimer les bénéfices à long terme de l’honnêteté, tels que la confiance et la motivation. Et à surestimer les dommages immédiats causés par la franchise. Cette distorsion conduit fréquemment à éviter les conversations difficiles, privilégiant des approches plus confortables, mais moins efficaces. Leurs recherches montrent également que les conversations difficiles ne sont pas efficaces lorsqu’elles sont vagues, humiliantes ou imposées.

Finalement, pour qu’un feedback aide réellement à progresser, il repose sur quatre composantes essentielles.

Les managers toxiques sabotent le feedback, pour asseoir leur autorité. Photo de Marco Bianchetti sur Unsplash.

I. Les 4 composantes du feedback efficace.

1) Être précis.

Un feedback efficace se concentre sur des comportements spécifiques, pas sur la personne. Dire “Quand tu remets tes rapports en retard, ça bloque l’équipe” est très différent de “Tu es toujours en retard et inefficace”. La précision permet à la personne de comprendre exactement ce qu’elle doit changer. La spécificité permet au cerveau de traiter l’information sans déclencher les mécanismes de défense.

Les managers toxiques émettent un jugement général ou flou, conduisant ainsi l’autre à douter de ses capacités.

🚩 des managers toxiques :

  • Rester vague (“tu n’es pas assez motivé”, “tu dois t’impliquer plus”) leur donne du pouvoir. Le flou empêche l’autre de savoir quoi améliorer, ce qui maintient une dépendance et une insécurité.
  • Mécanisme psychologique : en évitant la clarté, ils protègent leur autorité et gardent une “arme” qu’ils peuvent ressortir à tout moment.
2) Expliquer l’impact.

Un bon feedback montre les conséquences du comportement sur l’équipe ou le projet. Cela aide à sortir du jugement personnel et à comprendre la réalité du travail collectif. Reprenons l’exemple des rapports rendus en retard : la performance de l’équipe est impactée, tout comme le travail des autres membres de l’équipe qui eux s’efforcent à respecter les échéances.

Les managers toxiques, eux, ignorent cet impact ou l’exagèrent pour créer culpabilité et contrôle. Les managers toxiques n’hésitent également pas à mentir pour faire passer leur message. Et ils utilisent le groupe ou une tierce personne pour manipuler, en faisant parler les autres : “ils ont dit que tu…”, “ils ne veulent pas que tu…”. Obligatoirement, ça entraîne l’interlocuteur dans un processus malsain de remise question, ce qui le conduit à se créer un imaginaire, dans le but de mieux le manipuler.

🚩 des managers toxiques :

  • Exposer l’impact réel reviendrait à objectiver la situation. Or, les managers toxiques préfèrent dramatiser (“tu mets tout le projet en danger”) ou minimiser (“ton travail ne change rien”) selon ce qui les arrange.
  • Mécanisme psychologique : ils utilisent la culpabilité ou l’effacement de la valeur de l’autre comme levier de contrôle.
3) Communiquer avec respect.

Même dans une conversation difficile, il est crucial que la personne à qui le feedback est donné, se sente respectée. C’est par exemple choisir un endroit calme et écouter attentivement. C’est mettre son interlocuteur dans le confort. Reconnaître les efforts et les contraintes de l’autre ouvre la porte à un dialogue constructif. L’empathie et la bienveillance sont essentielles pour que le retour soit entendu et intégré.

Les comportements toxiques, eux, humilient ou rabaissent, ce qui crée peur et frustration au lieu de bâtir une relation basée sur la confiance et l’apprentissage mutuel. Ils expédient la conversation en deux minutes, ou ils programment la discussion dans un endroit pas du tout approprié (bruit autour, passages, témoins).

🚩 des managers toxiques :

  • Montrer du respect suppose une relation d’égal à égal. Le manager toxique, lui, cherche à instaurer une hiérarchie verticale où l’autre est inférieur. L’humiliation, le manque de considération, l’ironie ou les remarques deviennent des outils pour renforcer sa position.
  • Mécanisme psychologique : leur autorité repose moins sur la compétence que sur la domination. Manifester du respect fragiliserait leur posture de pouvoir.
4) Trouver une solution ou un processus d’amélioration.

Le feedback devient réellement utile lorsqu’il inclut un plan concret ou une méthode pour progresser, cela transforme la problématique en opportunité. Trouver une solution ensemble par le questionnement ou en laissant l’autre trouver la solution est pour moi le comportement le plus adéquat. Chacun est acteur de son travail. Aider autrui à trouver les solutions est une preuve de confiance et utile au développement de son interlocuteur : “qu’est-ce que l’on pourrait mettre en place pour que tu puisses rendre tes rapports plus vite, sans impacter le travail collectif ?”

À l’inverse, un manager toxique critique sans solution, laissant la personne impuissante et démotivée, tandis qu’un plan collaboratif encourage l’apprentissage et la croissance. Un manager toxique laissera la personne se débrouillera : “à toi de voir”. Ou alors le manager toxique infligera une punition punitive.

🚩 des managers toxiques

  • Donner une solution, c’est responsabiliser l’autre et lui redonner du contrôle. Or, un manager toxique préfère laisser la personne dans l’incertitude, voire l’impuissance, pour renforcer sa dépendance.
  • Mécanisme psychologique : l’absence de solution entretient le déséquilibre. Cela permet au manager toxique de rester l’unique “juge” et de répéter ses critiques sans fin.

II. Autres aspects du feedback efficace.

  • Adopter une perspective à long terme : les bénéfices de l’honnêteté, comme la confiance et l’amélioration des performances, surpassent largement les inconvénients immédiats.
  • Exprimer l’honnêteté avec bienveillance : un retour sincère est efficace, s’il est accompagné d’empathie et de soutien.
  • Être conscient de ses biais personnels : reconnaître sa tendance à éviter le conflit permet de mieux gérer la conversation.
  • Inciter le dialogue ouvert : créer un espace sûr où chacun peut exprimer ses préoccupations renforce l’efficacité du feedback.

III. Les managers toxiques sabotent volontairement les étapes du feedback.

Les managers toxiques exploitent notre peur irrationnelle des conversations difficiles pour maintenir un climat de flou et de contrôle. Ils transforment ces moments de développement en outils de domination.

Le cercle vicieux : plus ils évitent ou sabotent ces conversations, plus les problèmes s’accumulent, justifiant leur autoritarisme ou leur évitement. Ainsi, leur jugement sur vous peut perdurer et ils peuvent encore mieux contrôler la narrative à votre sujet.

Un feedback toxique ne dit rien sur vos compétences. Il dit tout sur le manager qui le donne. Si vous êtes rabaissé en permanence, ne cherchez pas à prouver votre valeur à quelqu’un qui ne la reconnaîtra jamais. Cherchez un endroit où vos compétences sont respectées et payées à leur juste niveau.

Conclusion.

En résumé, un feedback difficile n’est pas un moment de domination, mais une chance de faire grandir l’autre et l’équipe. La clarté, le respect et la proposition de solutions transforment un retour critique en véritable moteur de progrès. Les managers qui réussissent à combiner ces quatre éléments créent un environnement avec lequel l’amélioration devient possible sans peur, culpabilité ou manipulation. Par ailleurs, plus un manager est clair et honnête, plus il a de chance d’être suivi par l’autre.

Dans mon expérience, c’est exactement ce type de feedback qui m’a permis de progresser et de garder confiance en mes capacités, que ce soit sur le terrain ou en entreprise. Et c’est cette approche que nous devrions tous viser lorsque nous devons dire la vérité à quelqu’un, sans tomber dans la toxicité.

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